L’Inde compte certains des scénaristes et réalisateurs les plus talentueux au monde mais reste à la traîne pour leur offrir le système de collecte dont ils ont besoin. Dans l’entretien ci-dessous, Vinod Ranganath nous explique comment le soutien de Writers & Directors Worldwide peut faire la différence.
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1. Quelle est la situation des scénaristes et réalisateurs en Inde ? La législation indienne reconnaît-elle leurs droits et leur garantit-elle une rémunération équitable ?
Les revenus des scénaristes indiens, en particulier dans l’industrie du cinéma, atteignaient des niveaux abyssaux jusqu’au milieu des années 1990. Avec l’arrivée des producteurs institutionnels, notre secteur d’activité a commencé à se professionnaliser. Ils ont instauré des contrats et un calendrier de paiement en bonne et due forme. Avant cela, les paiements se faisaient ponctuellement, mais les budgets des films étaient relativement transparents.
À partir du milieu des années 1990, à l’époque de l’essor du satellite, les scénaristes de la télévision ont toujours reçu un revenu décent. Bien que les échéances de paiement laissaient à désirer, le scénariste recevait néanmoins une rémunération correcte. Toutefois, que ce soit pour la télévision ou le cinéma, les notions de droits d’auteur et de licences d’exploitation de ces droits n’existaient pas. Même si la Loi sur le droit d’auteur définissait différents droits, la plupart des auteurs ne les connaissaient pas. Les producteurs et les télédiffuseurs faisaient en sorte que les auteurs leur cèdent leurs droits en échange de la rémunération qui leur était payée.
Les choses ont changé en 2012, quand la Loi sur le droit d’auteur a été amendée pour instaurer un droit inaliénable à toucher des droits d’auteur. Désormais, aux termes de la loi, les producteurs et les télédiffuseurs ne peuvent pas priver un auteur de ce droit. Un auteur ne peut céder ses droits que dans deux cas de figure : il peut transférer ses droits à une Organisation de gestion collective (OGC) reconnue par l’État ou à leur héritier légal.
La Guilde des scénaristes basée à Bombay a organisé divers ateliers et séminaires pour informer les auteurs sur leurs droits. Elle a également créé un département juridique pour aider directement les auteurs qui en ont besoin. Les producteurs et les télédiffuseurs continuent de chercher des moyens de se soustraire aux dispositions de cet amendement, par exemple en imposant la signature de contrats pour des
œuvres sur commande. Mais les choses s’améliorent petit à petit, car certains producteurs commencent à accepter le fait qu’ils ne peuvent priver les auteurs de leurs droits.
2. Qu’est-ce qui a été fait jusqu’ici pour permettre la création d’une OGC pour les scénaristes et réalisateurs indiens ?
À ce jour, il n’existe pas d’OGC pour les auteurs audiovisuels en Inde. J’ai donc travaillé avec mon collègue scénariste Anjum Rajabali pour mettre sur pied la première société d’auteurs pour ce répertoire. Nous avons commencé par rencontrer les guildes d’auteurs régionales et la plupart nous ont fait part de leur soutien moral. Nous sommes ensuite venus en Europe en 2013, un an après l’amendement de la Loi indienne sur le droit d’auteur, et nous avons rencontré une demi-douzaine d’OGC européennes et d’organisations apparentées, dont VG Wort à Munich, l’ALCS et WGB à Londres, la SACD et la CISAC à Paris et DAMA à Madrid. Nous avons également rencontré un représentant de l’OMPI à Genève.
Nous avons réuni des informations sur le fonctionnement des différentes OGC et obtenu des exemples d’actes constitutifs et de statuts, que nous avons pu ramener avec nous en Inde. Nous avons alors commencé à rédiger nos propres documents.
La Loi indienne sur le droit d’auteur stipule que les droits collectés pour toute exploitation doivent être partagés à 50:50 avec le producteur. Par conséquent, notre acte constitutif et nos statuts doivent être formulés de manière à respecter cette condition. Ceci implique que notre OGC acceptera parmi ses membres aussi bien des producteurs que des auteurs. Nous avons donc rédigé nos documents et commencé à créer notre conseil d’administration en nous décidant pour un nombre impair de sièges – 3 producteurs et 4 auteurs – afin d’éviter d’obtenir une égalité des voix. Depuis, nous avons changé cette clause et opté pour un nombre pair, afin que les deux groupes soient également représentés et de refléter le partage égal des droits entre auteurs et producteurs. Nous avons passé ces dernières années à obtenir l’enregistrement et l’approbation de notre OGC, baptisée la Screenwriters Rights Association of India (SRAI), par le Registraire du Droit d’auteur de New Delhi.
3. Quels obstacles avez-vous rencontré pour fonder votre OGC et que faites-vous pour les surmonter ?
Le principal obstacle a été de nous en sortir face aux démarches administratives impliquées par l’approbation de la SRAI par les pouvoirs publics. Nous avons dû faire face à de nombreux revers, y compris de nombreuses demandes de compléments d’information, le départ à la retraite des registraires, des retards dans la prise de décision et même le déménagement des bureaux du registraire au milieu du processus. Tout au long de ce parcours éprouvant, nous nous sommes efforcés de répondre aussi vite que possible à chaque nouvelle requête et de gérer au mieux les frais juridiques et administratifs impliqués.
Aujourd’hui, la SRAI est une société officiellement enregistrée mais attend toujours l’approbation définitive des pouvoirs publics pour pouvoir commencer ses activités. Cette approbation devait intervenir début novembre 2017 mais nous ne l’avons toujours pas reçue à ce jour.
Si nous voulons que les choses bougent, il faudrait que le Gouvernement reconnaisse que l’Inde a urgemment besoin d’une société des auteurs audiovisuels, et comprenne que la SRAI est parfaitement bien placée pour remplir ce rôle. Nous apprécions beaucoup le soutien de Writers & Directors Worldwide, de la CISAC et de nos futures sociétés sœurs à travers le monde pour y parvenir.
Vinod Ranganath, scénaristePhoto © DAC